Rép :Extrait de « Le chat Moune et ses copains », de Philippe RAGUENEAU

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#201135
Bémol
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    [align=justify]Je me souviens de cette femme, un soir, qui pleurait… C’était chez des amis. On se donnait des nouvelles des enfants. Elle avait dit simplement « Mon petit chat est mort ». Et elle s’était mise à pleurer… Et, dans un coin du salon, un monsieur avait dit à un autre, en haussant les épaules : « ce n’est qu’un chat, quand même !… »

    Ce n’est qu’un chat !… Mais c’est immense, un chat, vous ne savez pas, Monsieur ? C’est immense… Vous n’en avez pas, évidemment, et vous ignorez que l’on peut avoir, lorsqu’il s’en va à tout jamais, autant de chagrin que s’il s’agissait d’un enfant… Aux gens qui n’en ont pas, ça paraît sacrilège…Comment peut – on comparer, n’est ce pas ?…

    C’est parce que vous ne savez pas, Monsieur. Vous ne savez pas la place que ça prend, un chat, dans une vie – ces yeux d’or qui vous dédient un regard d’éternité, cette patte douce qui se pose sur votre main, ces mouvements qui sont la beauté et la grâce et dont chacun exprime une sensation, un sentiment, et cette tête ronde et dure qui se colle à votre tempe pour vous dire je t’aime aussi…

    Tout cela, Monsieur, vous ne le savez pas, et quelque chose vous manque.

    Mais je ne sais pas si je dois vous plaindre ou vous envier… Parce que vous ne tremblez pas chaque fois qu’il tousse, ou éternue, ou n’a pas faim ; chaque fois qu’il s’est battu et que l’on cherche, dans son poil, la trace des morsures et des griffes ; chaque fois qu’il rentre tard et qu’on ne sait pas si, dans la rue, un imbécile, qui roulait trop vite, ne l’a pas projeté contre un mur, désarticulé, brisé…

    Mais vous ne connaîtrez jamais non plus, c’est vrai, le bonheur d’un amour gratuit partagé. Parce que les chats, Monsieur, c’est tout le contraire de ce que certains racontent : c’est tendre, c’est bon, c’est fidèle, c’est lucide, c’est intelligent, c’est doux et ça vous dit des choses… Tant de choses !…

    Dors, ma petite Moune, dors… Tu sautais moins bien, ces jours- ci… J’ai dit à ta maman : « il saute moins bien… Il vieillit, peut – être ?… Il a hésité dix fois avant de bondir sur le rebord de la fenêtre… »

    Je ne veux pas y penser. Il sera bien temps…Ce qui doit arriver un jour, c’est vrai pour tout le monde. Mais ça ne nous console pas de le savoir…

    Alors j’aurais voulu la prendre dans mes bras, cette femme que je connaissais à peine, et qui pleurait, et j’aurais voulu lui dire :

    « Je vous comprends… Pleurez tant que vous voudrez, pleurez sans vous soucier des autres. Eux ne savent pas, et moi si… »

    Extrait de « Le chat Moune et ses copains », de Philippe RAGUENEAU, éditions Albin Michel[/align]