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Mon maître, mon ami
Toi qui m”offre la douce quiétude de ton foyer.
Respecte mon goût de la liberté
Et ne m”enchaîne à toi
Que par les sentiments qui nous lient.
Ta présence fait mon bonheur,
Mais je médite;
Ne cherche pas à deviner mes pensées
J”ai gardé le goût sauvage du secret.
Ne trouble pas mon sommeil,
Il est nécessaire à mon équilibre.
Et lorsquӈ toi je viens
Donne moi abondance de caresses.
Pour mon péché de gourmandise pardonné
Te sera acquise toute mon amitié.
Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d”agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s”enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.
C.Baudelaire – Les Fleurs du Mal
Aiment également, dans leur mûre saison;
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l”horreur des ténèbres;
L”Erèbe les eut pris pour ses courriers funèbres;
S”ils pouvaient au sevrage incliner leur fierté.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s”endormir dans un rêve sans fin;
Leurs reins féconds sont pleins d”étincelles magiques,
Et des parcelles d”or, ainsi qu”un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
C.Baudelaire – Les Fleurs du Mal
LE CHAT
Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu”en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l”entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s”apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C”est là son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre,
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort tous les cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n”a pas besoin de mots.
Non, il n”est pas d”archer qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout es, comme un ange,
Aussi subtil qu”harmonieux!
– De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu”un soir
J”en fus embaumé, pour l”avoir
Caressée une fois, rien qu”une.
C”est l”esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?
Quand mes yeux, vers ce chat que j”aime
Tirées comme un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.
C.Baudelaire – Les Fleurs du Mal